Baz'art  : Des films, des livres...
21 juin 2019

Interview Cinéma : Laure de Clermont Tonnerre, réalisatrice de " Nevada"

Voici donc, comme annoncé la semaine dernière le compte rendu de ma récente rencontre à Lyon avec Laure de Clermont Tonnerre, réalisatrice de Nevada, un étonnant et bouleversant premier long métrage, qui est depuis avant hier en salles et dont on a parlé mercredi dernier 

On a donc parlé longuement chevaux, prisons, Robert Redford, et Mathias Schonaerts, dans un entretien aussi passionnant que décontracté :  

 Interview de Laure de Clermont Tonnerre;

la réalisatrice de NEVADA

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 Baz'art : Bonjour Laure et félicitations pour votre très beau premier long métrage. Votre court métrage "Rabbit", tourné  en 2015, parlait déjà de thérapie animale en prison : peut-on dire que "Nevada" est le pendant masculin et chevalin de ce précédent projet?

Laure de Clermont Tonnerre : Oui tout à fait, il y a un lien évident entre les deux films : au départ, il y a juste une lecture que j'ai faite en France, un peu par hasard, d'un article sur la thérapie animale en prison, qui avait lieu à Strasbourg, où une thérapeute confie des petits animaux – lapins, oiseaux, rongeurs –, à des prisonniers.

Je suis allée observer cette thérapeute pendant une journée et la manière dont ces hommes trouvaient un sens à leur routine  et semblaient plus sereins, juste en s'occupant d'un petit animal.,m'avait énormément touché. 

Et on a  pu remarquer qu'il y avait souvent un lien de cause à effet entre l'absence de récidive chez ces prisonniers qui avaient été en contact avec un animal .

Voir comment ces tous petits animaux arrivaient à réconcilier ces hommes détruits avec eux même, est une expérience assez bouleversante.

C'est en partant de cette expérience que j'ai tourné "Rabbit" dans la prison de Rikers Island à New York, avec une femme et un lapin. 

Comme ce sujet me passionnait,  j'ai trouvé, au fil de mes recherches, une autre prison située dans le Nevada qui faisait ce genre de programme, mais avec des chevaux sauvages et il m'est venu rapidement en tête que cela allait donner lieu à mon premier long métrage, Nevada.

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Baz'art : Mais c'ést quoi précisémment qui vous plait tant dans cette thématique là? Il parait que le thème de la prison et des animaux vous passionne depuis l'enfance, pour les animaux, on peut facilement comprendre, pour la prison c'est plus étonnant, non?

 Laure de Clermont Tonnerre, : Je sais que cela peut paraitre un peu bizarre,  dit comme cela, mais il y a quelque chose  dans les prisons qui m’a toujours intrigué depuis que je suis enfant sans que je puisse expliquer pourquoi, par exemple, j'ai regardé le film "Midnight" express " d'Alan Parker  de nombreuses fois et je me suis posé pas mal de questions notamment sur le coté archaïque de ces institutions, en Turquie donc ( sourires) mais aussi évidemment en France et ensuite aux USA. 

Vraiment, depuis très jeune, j'ai été intéressée par toutes ces questions du sens de la peine, de l’absurdité du système correctionnel, par l’impact de la punition et de la prison sur l’homme.

 

NEVADA - Photo 5

 

Ce qui m’intéresse dans ce thème de la thérapie animale dans l'univers carcéral, c’est la  problématique de la seconde chance, qui entraine amour, empathie et contrôle de soi. C'est aussi évidemment plus globalement celle de l’enfermement  et des questions qui en découlent logiquement, comme A quoi sert la punition ? Comment on peut réellement s'en sortir? 

Il est difficile, évidemment, d'avoir des réponses tranchées à ces questions mais à mon sens, l’éducation est préférable, en tout cas plus que d’incarcérer bêtement sans que derière rien ne soit fait pour réhabiliter le détenu, comme c'est trop souvent le cas, hélas.

 Baz'art : On imagine facilement que réaliser un premier long aux USA était un défi de taille pour une jeune frenchie, sans trop de réseaux,  non?

Laure de Clermont Tonnerre: Oui bien sûr, je savais que c’était un vrai challenge, en tant que française, d’aller tourner un film aux Etats-Unis. 

 J'ai donc tenté ma chance pour faire partie du Sundance Institute,  je savais que c’était une façon de trouver  des  laboratoires de création aux Etats-Unis, de là,  j'ai rencontré Robert Redford qui a été un peu ma " bonne fée" sur ce projet et qui a décidé de produire le film, ce qui m'a évidemment énormément aimé.

Robert  Redford  a très vite voulu accompagner le film, il faut dire que le sujet du film est totalement en phase avec ses convictions profondes, et  avec certains  films qu'il a tourné en tant qu'acteur ou réalisateur (L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux/ Brubaker...) .

Robert connait évidemment parfaitement l'univers des chevaux, et même plus que cela d'ailleurs, puisqu'il a adopté des mustangs en prison et qu'il se bat pour la préservation des chevaux sauvages, donc tout ce que raconte le film lui parlait énormément. 

Baz'art : Et on imagine qu'avec Robert Redford en "parrain",tout est plus facile, notamment niveau recherche de financement, n'est ce pas?

Laure de Clermont Tonnerre : Evidemment, le fait que Robert ait très vite voulu accompagner le film comme une sorte de parrain créatif, a naturellement attisé une certaine curiosité pour ce projet à l'égard de pas mal de monde, cela a conféré une gage de qualité et de confiance que je ne peux nier. 

 Robert est  ntervenu à des étapes créatives, essentielles du film et puis surtout,  c’était le premier à y croire ce  parrainage reste même avec le recul aussi inespéré que revé!.

Mais en tant que française et avec Matthias Schoenaerts, en acteur principal rapidement associé au projet et également francophone, le point de départ avant même d'aller chercher des financeurs américains aura été de trouver de l’argent en Europe.

Nous avons eu France 3, puis la télé belge, puis  Canal+, mais ce n'était pas suffisant, donc heureusement que la distribution américaine bien renommée Focus Features est venue se greffer sur le financement, avec une partie anglaise, car cela nous a quand même sacrément bien aidé aussi, presque autant que Redford en producteur executif (sourires) .

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Baz'art : Et il y a une autre belle rencontre qui vous a beaucoup aidé dans le parcours du film, c'est celle avec une certaine Kathleen O' Mara, n'est ce pas?

Laure de Clermont Tonnerre : Oui tout à fait, cette rencontre a eu lieu avant celle avec Robert Redford, mais elle n'en fut pas moins essentielle. Kathleen est la personne qui dirige le département psychologie et psychiatrie de l'ensemble des prisons californiennes, elle a pu me faire facilement accéder aux prisons, dont celles du Nevada, c'était une sorte de "consultante prison", comme Redford a été consultant cheveaux en quelque sorte (sourires).. 

J'ai pu, grâce à elle, rencontrer un certain nombre de détenus, incarcérés pour de longues peines, et ils m'ont raconté leurs histoires.

Ces rencontres m'ont permis de construire le personnage de Roman, j'y ai notamment intégré le mélange de sensibilité et de rage contenue que j'ai cru déceler en eux.

En plus au delà de cela, Kathleen  a aussi des chevaux, est passionnée par ces animaux et on est vite devenus très amies..

Baz'art : Et sinon, cela n'a pas été trop difficile de tourner avec des chevaux, on dit souvent que tourner avec des animaux et des enfants est le pire pour un jeune réalisateur, vous confirmez?

 Laure de Clermont Tonnerre : Non pas vraiment, cela s'est même déroulé de façon idyllique aussi surprenant que cela puisse paraitre

Nais il faut dire que nous étions bien accompagnés, nous  avions un entraineur de chevaux très expérimenté qui avait travaillé  par exemple, sur L’étalon noir et L’homme qui murmurait à l’oreille des chevaux. 

C’est quelqu’un qui savait très bien comment fonctionne le cheval avec la caméra et  qui sait aussi parfaitement comment intégrer un animal sur un plateau de cinéma. 

Il nous a appris à comment organiser les scènes, car il faut savoir que c’est très réglementé de tourner avec des chevaux,  c'est un peu comme pour des enfants, d'où votre comparaison qui n'est pas si incongrue que cela (sourires), cela demandait beaucoup de discipline à l’équipe et aux acteurs. 

Vous savez, on n'avait que très peu de temps pour tourner, donc je ne faisais que très peu de prises pour les scènes tournées avec les chevaux, je laissais tourner le plus possible et il fallait que le dresseur arrive à faire faire aux chevaux ce que j'avais prévu dans le script..

Par ailleurs, le rôle de Marquis a été tenu par trois montures identiques, une bien dressée, une totalement sauvage et une entre les deux, et il arrivait parfaitement à les utiliser en fonction des scènes où l'on avait besoin de différentes couleurs de sa personnalité.

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Baz'art : Le film carcéral est un genre très codifié, très viril forcément , et dans votre film on y trouve une vraie sensibilité qu'on voit rarement dans ce genre de films.. peut-on dire que c'est parce que vous y apporter un regard féminin, que vous avez mis une certaine  poésie dans un univers si  agressif ?

Laure de Clermont Tonnerre : Disons que le fait que je sois une femme m'a sans doute inconsciemment fait  porter un regard tendre et sans jugement sur cet univers effectivement très viril et testostéroné (sourires) .

Lorsque je suis allé ,en préparant le film,  récolter un certain nombre de témoignages  de détenus, j'ai longuement échanger avec ces hommes, certains détenus depuis plus de 30 ans.

Très rapidement, ceux ci dévoilaient leurs émotions et leur vulnérabilité, et il est  possible, voire probable que si j'avais été un homme moi-même,cela n'aurait pas été pareil.

Et du coup, dans le film aussi j'ai voulu mettre à l'honneur cette sensibilité, on ne peut pas totalement éluder la violenceet  les agressions car elles existen et mon objectif n'était pas de trahir la réalité, mais il m'importait avant tout de parler d'autre chose que le cinéma avait assez peu montré à mon sens. 

nevadaBaz'art: en plus d'un regard féminin que le film véhicule, on pourrait dire aussi que votre regard d'européenne distingue votre film d'un long métrage américain, vous confirmez?

Oui, bien sûr, je pense que mon film montre une certaine juxtaposition de différentes cultures, l'américaine, avec cette histoire assez traditionnelle de seconde chance et de rédemption, et un regard assez contemplatif qui vient je pense du cinéma européen.

Vous savez, j'ai été très inspirée par le cinéma de Sergio Léone ou celui de Wim Wenders, "Paris Texas" notamment est un film très important pour moi, et il m'a beaucoup inspiré pour réaliser "Nevada".

Baz'art : Oui, à cet égard, votre film est également magnifié par sa lumière, avec un travail splendide de Rubens Impens, remarqué aussi chez Felix Van Groningen, un européen, aussi d'ailleurs, cela donne un côté western à ce film ...

Laure de Clermont Tonnerre : Oui, c'est vrai. J'ai mis pas mal de temps à trouver le bon chef opérateur, je cherchais un directeur de la photo capable de suivre les sortes de chorégraphies que fait le cheval, et  je me suis rendu compte que Ruben  allait être celui là.

Vous savez, il a travaillé avec une petite caméra en fibre de carbone pour suivre tous les mouvements des chevaux et c'était génial !

Mais la dimension western que vous mettez en avant, c'est vraiment le lieu qui l'a imposé plus qu'un choix conscient de notre part...  J'ai aimé,dans ma mise en scène jouer du constraste entre le côté très vaste, très lyrique du paysage, qui pousse largement à la contemplatation et mes personnages enfermés qui nécessitent des plans plus serrés et l'expérience de Rubens m'a beaucoup aidée pour cela..

 

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Baz'art :Un mot aussi pour conclure sur la fabuleuse interprétation de Mathias Schonaerts, dans un rôle d'homme taiseux et qui va apprendre tant au contact des mustangs

Ah c'est une belle histoire avec Mathias,  une belle mais aussi une triste histoire en même temps, en fait,  j'ai d'abord connu sa maman , complètement par hasard, et j'ai appris ensuite qu'elle avait enseigné la méditation dans des prisons en Belgique, je lui ai donc parlé de mon projet de film.

Elle est malheureusement décédée quelques mois ensuite mais elle avait parlé du film à Mathias qui du coup avait très envie de le faire, ne serait ce que pour ses raisons personnelles. Avec Mathias,  rapidement on a entretenu une relation très  familière, très simple j'aurais tendance à dire que c'est une comme une relation de famille, un cousin proche (sourires) ...

 

J'ai la nette impression,  qu'au fur et à mesure du rôle, Mathias a été transporté par des émotions enfouies,  que le film a réveillé et le résultat de cette révélation,  à l'image,  est assez bouleversant .. 

 

Baz'art : Et dites nous tout alors, est ce que Mathias savait faire du cheval avant de tourner dans "Nevada" ?

Laure de Clermont Tonnerre: Non pas du tout, Mathias connaissait mal les chevaux, il y montait très mal, ce qui était pas si mal en fait, puisque le personnage n'est pas censé connaître les chevaux.

Bon en même temps, pour des raisons assez évidentes de sécurité, on avait plutôt intérêt à ce qu'il sache bien monter à cheval et Mathias était désireux d'apprendre, ce qu'il a fait avec un vrai talent, qui se voit à l'image, j'espère ( sourires)..

NEVADA Bande Annonce (2019) Drame

Crédit photo AD-VITAM

Merci à AD Vitam et au cinéma Gaumont Pathé de Lyon Bellecour pour cet  interview.

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